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Maigret trinquait avec les éclusiers et les pêcheurs à la Buvette de la Marine.

Le maire recevait le Parquet avec du thé, des liqueurs et des petits fours.

Maigret était un homme tout court, sans qu’on pût lui mettre une étiquette.

M. Grandmaison était l’homme d’un milieu bien déterminé. Il était le notable de petite ville, le représentant d’une vieille famille bourgeoise, l’armateur dont les affaires sont prospères et la réputation solide.

Certes, ses allures étaient volontiers démocratiques et il interpellait ses administrés dans les rues de Ouistreham. Mais cette démocratie était condescendante, électorale ! Cela faisait partie d’une ligne de conduite établie.

Maigret donnait une impression de solidité quasi effrayante. M. Grandmaison, avec son visage rose, à bourrelets, perdait vite sa raideur de commande et montrait son désarroi. Alors, pour reprendre le dessus, il se fâchait :

— Monsieur Maigret… commença-t-il.

Et c’était déjà un poème que sa façon de prononcer ces deux mots-là.

— Monsieur Maigret… je me permets de vous rappeler que, en tant que maire de la commune…

Le commissaire se leva, d’une façon si naturelle que son interlocuteur écarquilla les yeux. Et il marcha vers une des portes, qu’il ouvrit le plus tranquillement du monde.

— Entrez donc, Louis ! C’est énervant de voir sans cesse une porte qui bouge et de vous entendre respirer derrière !

S’il avait espéré un coup de théâtre, il dut déchanter. Grand-Louis obéissait, pénétrait dans le bureau, les épaules et la tête de travers, comme de coutume, et regardait fixement le plancher.

Mais c’était aussi bien l’attitude d’un homme mis dans une situation délicate que celle d’un simple matelot qu’on introduit dans la demeure d’un personnage riche et important.

Quant au maire, il tirait d’épaisses bouffées de son cigare, en regardant devant lui.

On n’y voyait presque plus. Dehors, un bec de gaz était déjà allumé.

— Vous permettez que je fasse de la lumière ? dit Maigret.

— Un instant… Fermez d’abord les rideaux… Il n’est pas nécessaire que les passants… C’est cela… Le cordon de gauche… Doucement…

Grand-Louis, debout au milieu de la pièce, ne bougeait pas. Maigret tourna le commutateur électrique, marcha vers le poêle à feu continu et, d’un geste machinal, se mit à tisonner.

C’était sa manie. Et aussi, quand il était préoccupé, de se tenir devant le feu, les mains derrière le dos, jusqu’à en avoir les reins brûlants.

Est-ce qu’il y avait quelque chose de changé dans la situation ? Toujours est-il que M. Grandmaison avait un regard un peu moqueur en regardant le commissaire, qui réfléchissait profondément.

— Grand-Louis était ici au moment de votre… de votre accident ?

— Non ! répondit une voix sèche.

— C’est dommage ! Vous auriez pu, par exemple, en dégringolant l’escalier, tomber sur son poing nu…

— Et cela vous aurait permis d’accroître l’angoisse dans les petits cafés du port, en racontant là-bas des histoires rocambolesques… Il vaut mieux en finir, n’est-ce pas, commissaire ?… Nous sommes deux… Deux hommes à nous occuper de ce drame… Vous venez de Paris… Vous m’avez ramené de là-bas le capitaine Joris dans un piteux état, et tout semble prouver que ce n’est pas à Ouistreham qu’il a été arrangé de la sorte… Vous étiez ici quand il a été tué… Vous menez votre enquête comme bon vous semble…

La voix était incisive.

— Je suis, moi, depuis près de dix ans, le maire du pays. Je connais mes administrés. Je me considère comme responsable de ce qui leur arrive. En tant que maire, je suis, en même temps, chef de la police locale… Eh bien !…

Il s’interrompit un instant pour tirer une bouffée de son cigare dont la cendre croula, s’émietta sur sa robe de chambre.

— Pendant que vous courez les bistrots, je travaille de mon côté, ne vous en déplaise…

— Et vous faites comparaître Grand-Louis…

— J’en ferai comparaître d’autres si bon me semble !… Maintenant, je suppose que vous n’avez plus rien d’essentiel à me communiquer ?…

Il se leva, les jambes un peu engourdies, pour reconduire son visiteur vers la porte.

— J’espère, murmura Maigret, que vous ne voyez aucun inconvénient à ce que Louis m’accompagne… Je l’ai déjà interrogé la nuit dernière… Il me reste quelques renseignements à lui demander…

M. Grandmaison fit signe que cela lui était égal. Mais ce fut Grand-Louis qui ne bougea pas, qui regarda fixement le sol comme s’il y eût été rivé.

— Vous venez ?

— Non ! pas tout de suite…

C’était un grognement, comme toutes les phrases du frère de Julie.

— Vous remarquerez, dit le maire, que je ne m’oppose nullement à ce qu’il vous suive ! Je tiens à ce que vous m’en donniez acte, afin que vous ne m’accusiez pas de vous mettre des bâtons dans les roues. J’ai fait venir Grand-Louis pour me renseigner sur certains points… S’il demande à rester, c’est vraisemblablement qu’il a encore quelque chose à me dire…

N’empêche que, cette fois, il y avait de l’angoisse dans l’air ! Et pas seulement dans l’air ! Et pas seulement de l’angoisse ! C’était presque de la panique qu’on lisait dans les yeux du magistrat.

Grand-Louis souriait, d’un sourire vague de brute satisfaite.

— Je vous attends dehors ! lui dit le commissaire.

Mais il n’obtint pas de réponse. Le maire seul articula :

— Au plaisir de vous revoir, monsieur le commissaire…

La porte était ouverte. La domestique accourait de la cuisine et, muette, renfrognée, précédait Maigret jusqu’à la porte d’entrée qu’elle referma derrière lui.

La route était déserte. À cent mètres, une lumière, à la fenêtre d’une maison, puis d’autres lumières, de loin en loin, car les constructions, sur la route de Riva-Bella, sont entourées de jardins assez vastes.

Maigret fit quelques pas, les mains dans les poches, le dos rond, arriva au bout de la grille du jardin, au-delà de laquelle s’étendait un terrain vague.

Toute cette partie de Ouistreham est bâtie le long de la dune. Passé les jardins, il n’y a que du sable et des herbes dures.

Une silhouette dans l’ombre. Une voix :

— C’est vous, commis…

— Lucas ?…

Ils se rapprochèrent vivement l’un de l’autre.

— Qu’est-ce que tu fais ici ?

Lucas ne perdait pas l’enclos de vue. Il parla très bas.

— C’est l’homme de la drague…

— Il en est sorti ?

— Il est ici…

— Depuis longtemps ?

— À peine une quinzaine de minutes… Juste derrière la villa…

— Il a escaladé la grille ?

— Non… On dirait qu’il attend quelqu’un… J’ai entendu vos pas… Alors, je suis venu voir…

— Conduis-moi…

Ils longèrent le jardin, arrivèrent derrière la villa et Lucas poussa un juron.

— Qu’est-ce que tu as ?

— Il n’est plus là…

— Tu es sûr ?

— Il se tenait près du bouquet de tamaris…

— Tu crois qu’il est entré ?

— Je ne sais pas…

— Reste ici… Ne bouge sous aucun prétexte…

Et Maigret courut vers la route. Il ne vit personne. Un rai de lumière filtrait de la fenêtre du bureau, mais on ne pouvait se hisser jusqu’à l’appui.

Alors il n’hésita plus. Il traversa le jardin, sonna à la porte. La servante ouvrit presque aussitôt.

— Je crois que j’ai oublié ma pipe dans le bureau de monsieur le maire…

— Je vais voir.

Elle le laissa sur le seuil, mais dès qu’elle eut disparu, il entra, monta quelques marches, sans bruit, jeta un coup d’œil dans le bureau.

Le maire était toujours à sa place, jambes étendues. Un guéridon avait été amené près de lui. De l’autre côté du guéridon, Grand-Louis était assis.

Et, entre eux deux, il y avait un jeu de dames.

L’ex-forçat poussait un pion, aboyait :

— À vous…

Et le maire, regardant avec énervement la servante qui cherchait toujours la pipe, prononçait :

— Vous voyez bien qu’elle n’est pas ici… Dites au commissaire qu’il a dû la perdre ailleurs !… À vous, Louis…

Et Louis, familier, sûr de lui :

— Vous nous servirez ensuite à boire, Marguerite !

VII

Le chef d’orchestre

Quand Maigret sortit de la villa, Lucas comprit que ça allait barder. Le commissaire était à cran. Il regardait fixement devant lui avec l’air de ne rien voir.

— Tu ne l’as pas retrouvé ?

— Je crois que ce n’est même pas la peine de chercher. Il faudrait organiser une battue pour mettre la main sur un homme qui se cache dans les dunes !

Maigret avait boutonné son pardessus jusqu’au cou, enfonçait les mains dans les poches, mordillait le tuyau de sa pipe.

— Tu vois cette fente des rideaux ? fit-il en désignant la fenêtre du bureau. Et tu vois ce petit mur, juste en face ! Eh bien ! je crois qu’une fois debout sur le mur ton regard pourra plonger par la fente.

Lucas était presque aussi gros que lui, en plus court. Il se hissa sur le mur en soupirant, en observant la route des deux côtés pour s’assurer qu’il ne venait pas de passants.

Avec la nuit, le vent s’était levé, un vent du large qui s’intensifiait de minute en minute et secouait les arbres.

— Tu vois quelque chose ?

— Je ne suis pas assez haut. Il s’en faut de quinze ou vingt centimètres.

Sans rien dire, Maigret marcha vers un tas de pierres qui se trouvait au bord de la route, en rapporta quelques-unes.

— Essaie.

— Je vois le bout de la table, mais pas encore les gens…

Et le commissaire alla chercher de nouvelles pierres.

— Ça y est ! Ils jouent aux dames. La servante leur apporte des verres fumants, des grogs, je suppose.

— Reste là !

Et Maigret se mit, lui, à marcher de long en large sur la route. À cent mètres, c’était la Buvette de la Marine, puis le port. Une camionnette de boulanger passa. Le commissaire faillit l’arrêter pour s’assurer que personne ne s’y cachait, mais il haussa les épaules.

Il y a des opérations très simples en apparence qui sont pratiquement impossibles. Par exemple rechercher l’homme qui s’était volatilisé soudain derrière la villa du maire ! Le rechercher dans les dunes, sur la plage, dans le port et dans le village ? Lui barrer toutes les routes ? Vingt gendarmes n’y suffiraient pas et, s’il était intelligent, il parviendrait à passer quand même.

On ne savait même pas qui il était, ni comment il était fait.

Le commissaire revint vers le mur, où Lucas restait debout dans une pose inconfortable.

— Qu’est-ce qu’ils font ?

— Ils jouent toujours.

— Et ils parlent ?

— Ils n’ouvrent pas la bouche. Le forçat a les deux coudes sur la table et il en est déjà à son troisième grog.

Un quart d’heure s’écoula encore et, de la route, on perçut une sonnerie. Lucas appela le commissaire.

— Un coup de téléphone. Le maire veut se lever. Mais c’est Grand-Louis qui décroche.

On ne pouvait pas entendre ce qu’il disait. La seule chose certaine, c’est que Grand-Louis paraissait satisfait.

— C’est fini ?

— Ils se remettent à jouer.

— Reste là !

Et Maigret s’éloigna dans la direction de la buvette. Comme tous les soirs, ils étaient quelques-uns à jouer aux cartes et ils voulurent inviter le commissaire à boire.

— Pas maintenant. Vous avez le téléphone, mademoiselle ?

L’appareil était fixé au mur de la cuisine. Une vieille femme nettoyait des poissons.

— Allô ! le bureau de poste de Ouistreham ? Police ! Voulez-vous me dire qui vient d’appeler le numéro du maire, s’il vous plaît ?…

— C’est Caen, monsieur.

— Quel numéro ?

— Le 122… C’est le Café de la Gare…

— Je vous remercie.

Il resta un bon moment debout au milieu de la buvette, sans rien voir autour de lui.

— Il y a douze kilomètres d’ici Caen… murmura-t-il soudain.

— Treize ! rectifia le capitaine Delcourt, qui venait d’arriver. Comment va, commissaire ?

Maigret n’entendit pas.

— … soit une petite demi-heure à vélo.

Il se souvint que les éclusiers, qui habitaient presque tous le village, venaient au port à vélo et que ces machines restaient toute la journée en face de la buvette.

— Voulez-vous vous assurer qu’il ne manque pas de bicyclette ?

Et dès lors ce fut comme un engrenage. Le cerveau de Maigret travailla à la façon d’une roue dentée qui emboîtait exactement les événements.

— Sacrebleu ! C’est ma machine qui manque.

Il ne s’étonna pas, ne demanda aucun renseignement, mais il pénétra à nouveau dans la cuisine, décrocha le récepteur :

— Donnez-moi la police de Caen… Oui… Merci… Allô !… Le commissariat principal de police ? Ici, commissaire Maigret, de la PJ. Y a-t-il encore un train pour Paris ?… Vous dites ?… Pas avant 11 heures ?… Non !… Écoutez… Veuillez prendre note…

« 1° S’assurer que Mme Grandmaison… la femme de l’armateur, oui !… est bien partie en auto pour Paris.

« 2° Savoir si un inconnu ne s’est pas présenté dans les bureaux ou au domicile des Grandmaison…

« Oui, c’est facile ! Mais ce n’est pas fini. Vous prenez note ?

« 3° Faire le tour des garages de la ville… Combien y en a-t-il ? Une vingtaine ?… Attendez ! Seuls ceux qui louent des voitures sont intéressants. Commencer aux environs de la gare… Bon ! S’informer d’un quidam qui aurait loué une auto avec ou sans chauffeur pour Paris… ou qui aurait acheté une voiture d’occasion… Allô ! Attendez, sacrebleu !… Il est probable qu’il a laissé un vélo à Caen…

« Oui, c’est tout !… Vous disposez d’assez d’agents pour faire tout cela à la fois ?… Bien, entendu !… Dès que vous aurez le moindre renseignement, vous me téléphonerez à la Buvette de la Marine, à Ouistreham…

Les gens du port, qui prenaient l’apéritif dans la salle surchauffée, avaient tout entendu et quand Maigret revint les visages étaient graves, brouillés par l’anxiété.

— Vous croyez que mon vélo ?… commença un éclusier.

— Un grog ! commanda Maigret d’une voix sèche.

Ce n’était plus l’homme qui, les jours précédents, le sourire bon enfant, trinquait avec chacun. C’est à peine s’il les voyait, s’il les reconnaissait…

— Le Saint-Michel n’est pas revenu de Caen ?

— Il nous est signalé pour la marée du soir. Mais le temps ne lui permettra peut-être pas de sortir.

— Une tempête ?

— Un beau coup de tabac, en tout cas ! Et les vents nordissent, ce qui ne présage rien de bon. Vous n’entendez pas ?…

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